Sous l'oeil d'Oedipe
J'aime quand les acteurs courent, dévalent sur la scène, à toute ampleur, les jambes qui arquent, les pieds qui plient.
Quand ils hurlent les colère dans les tréfonds des oubliés, essuient l'amour d'une poignée brut de son et foutent la vie à terre en brayant leurs tripes. J'aime quand ils la relèvent ensuite avec la même violence intacte dans son morceau entier d'incertitude folie, les yeux fous et la bouche grande ouverte. Le souffle qui les emplie et les vide à la fois est comme une arme qui les transperce toujours plus douce . J'aime quand la nuit ravale les crachats du jour et les transforme en étoiles, en lune et rêve, aux yeux de la poussière pensante des masses enivrées de plaisirs. J'aime la sensualité rance des courbes du corps criblé. J'admire les cheveux en bataille des rues égarées dans la profondeur des villes.
J'aime mon être enfin en mouvement, dans la foule des riens, libéré de sa prison de drap. Cette cage de soi où la pensée se tapisse, habillée dans de sombres miroirs. Et tant pis si mon corps souffre, ses clapotis de douleur qui respirent sous ma peau sont juste des pacotilles de fille aseptisée. Je me saigne plus aux griffes déposées dans le délire fiévreux, des amours calcinés d'eux mêmes, des espoirs avachis sous leur poids de puissance, des tristesses ruminantes dans mon estomac qui crie. Ces moments où je pleure des cendres pour me fermer les yeux et me ligote moi même à des cadavres d'espace ou de temps, de tout, même de rien. Par ce que le rien, on peut aussi se le reprocher. Mon pensée malade tord mon corps en mille. Et mon ventre en morceau vomit des pensées mangées qui m'infectent. Je suis liée entre mes deux pôles qui ne sont même plus deux. Ma chair et mon esprit. A la Kundera, l'équipage sur le quai qui chante. Moi, il chante toujours mon équipage. Je peux le déguiser mais mon intérieur imprègne mon corps dans sa moindre parcelle. Je déborde de vie, comme je déborde de passion et d'envies. Et je pourrais me noyer, je pourrais.
La femme qui dira cela ? Est ce elle ou moi ?
Antigone, Ismène ...
Ou les fleurs des personnages, dans les prairies du charnel.
(En fait c'est une autre façon de faire les critiques, livres films ou je sais quoi, d'écrire dans l'élan, sans rien ni filet, ce qui passe par la tête, après. Eloigné ou pas, on en sent des chuchotements)
Tu sais, je me rappelle les premières fois que je suis venue ici. Je me souviens que tu m'avais inspirée, vraiment, et j'avais tellement aimé cela...
Tes mots ont un beau pouvoir, tu sais.
Et Antigone, Ismène, Œdipe, Créon, Médée, tous ces personnages m'ont fascinée. Qu'ils aient été dessinés par Sophocle, Euripide ou Eschyle, sans oublier les modernes, Jahnn, Anouilh...
Je me souviens surtout des représentations que nous, élèves de prépa ECS, avions faites de ces tragédies. Rien de bien grandiose, mais suffisamment pour que j'aime. Parce que dans chacun des personnages, les "acteurs" d'un jour se sont donnés. Se donner. Et nous, nous avons reçus, comme de très grands cadeaux.
Je t'embrasse !