Mon corps me pèse et c’est une chaleur qui me pénètre l’orée des lèvres. J’aurais voulu m’envoler plus haut. J’aurais voulu toucher les reflets bleus dans le ciel, et attacher aux corps des volutes étrangères une impression de sens. Il fait sens de troubler au creux des yeux une attitude arrachée, il fait sens de murmurer toujours des inepties au fond de soi. C’est une caresse plate et suspendue.
Je regarde les miroirs sans tain qui entourent ma mémoire, et le sentiment brut des jugements qui viennent se briser contre moi, comme des vagues. Je regarde les miroirs et leurs reflets me donnent envie de pleurer, et cette envie de pleurer me remplit d’avantage de colère contre moi. J’aurais voulu sortir d’un coup de cet étau, de cet état. J’aurais voulu trouver une inspiration profonde et balayer de l’intérieur mon immensité rongée, pour éclater au cœur et m’envoler soudain.
C’est une impression forte, celle de lutter contre soi, et de vouloir résister toujours à un abandon au noir. Mes mots formulent des espoirs et des principes, mais c’est pour toujours m’empêcher de glisser dans l’abîme. Pourquoi ? Il s’agit autant d’un réflexe, si ancré que je ne saurais plus qui je suis s’il m’était enlevé.
Toujours ces sentiments de flux et de mouvements contraires, et dans le rythme intenable des spirales mentales, il faudrait se laisser accompagner et se laisser pénétrer par soi. Pourtant, j’ai si souvent l’impression que ma pensée est lestée, tellement puissante et encombrante, un peu malade. Il faudrait abandonner encore tant de choses, peut-être et sauter à nouveau, dans ces immensités bleues.
Dans ces immensités bleues.
« C’est l’hiver », dit-elle en murmurant. Dehors, les flocons mélangeaient avec la pluie, et venaient disparaître au sol. Le vent froid s’engouffrait dans l’embrasure de la fenêtre. « Je voudrais prendre le temps de raconter des histoires, de faire sortir des masques et des visages de mon esprit ». Sur sa main, la neige se faisait de plus en plus réelle. Peu à peu, les toits aux alentours se couvraient d’une couleur claire et le ciel était désormais presque blanc. La beauté des contrastes se distillaient dans la lenteur du froid et son regard se perdait avec enthousiasme dans la contemplation de la ville. Elle aurait voulu pouvoir décrire ces sentiments qui se bousculaient en elle, une joie qu’elle sentait toute entière sortie de son enfance et une nostalgie profonde, de celle que l’on porte toujours avec soi. La fraicheur venait couvrir ses doigts et glisser à l’intérieur d’elle-même. Gelée, sa main était délicatement gelée et elle s’amusait à imaginer une main ouverte qui ne refermerait pas. Peut-être qu’elle ne le sentait pas, ou qu’elle ne sentait plus rien. Il fallait que la neige la morde plus profondément dans sa chair, que le vent lui creuse le visage dans la profondeur des yeux, peut-être même pour lui tirer des larmes. « Qu’est-ce que tu fais ? » Une voix la tira d’un coup de sa torpeur, et de sa fascination gracile. Elle ferma la fenêtre brusquement sans détacher ses yeux des flocons qui tombaient toujours plus fort, « c’est l’hiver », répéta-t-elle.