- Courage, c'est tout ce qu'il nous reste pour accoler des morceaux de bravoure à ces inconnus en friche. Courage, la fuite est si désirable.
- Je n'ai pas le choix, cela ne sera même plus du courage. Ni même de la bravoure. Juste de la survie contre l'oppression du "il faut".
- Cesse d'avoir peur de moi, de toi, de nous.
- Je n'y arrive pas. On est si folles. On est si prévisible dans notre impulsivité, débordante dans notre hystérie commune, tu vois. Il faudrait comprendre, on ne fait que sentir.
- On ne peut pas comprendre, il n'y a rien à comprendre. Juste, peut être, à se battre pour se préserver.
- Et l'oisivité comme arme ?
- Non, comme soupir.
- On se languit depuis longtemps, alors.
- Je sais, mais c'est par ce que tu as peur.
- comment on fait pour vivre sans peur ?
- On ne peut pas, pas comme cela. On fait de la peur notre alliée, on la modèle et on brise. Elle devient espoir, énergie, autre chose.
- Ce sont des mots, un idéal de folie.
- Et alors? Depuis quand les idéaux ne sont plus fous ? Inutiles?
- Depuis que j'aime.
- Pourquoi ?
- J'en suis fatiguée. Ca me ronge. Me tient éveillée mais m'abat du même coup. Tac.
- Ce n'est pas une excuse.
- C'est vrai.
- Alors qu'attends-tu ?
- Qu'on me passionne
- C'est à toi de le faire.
- Je n'ai pas assez confiance en moi pour cela.
- Alors vas-y, reste dans ta bulle. Continue de te coudre la bouche ...
- Mais à qui veux-tu que je parle ?
- Tu ne vas pas me dire que tu es seule, bordel ! C'est toi qui t'enferme.
- Je sais, mais j'ai peur de moi, je te l'ai dit. Et de toutes ces choses qui m'oppressent la bouche. J'ai envie de parler, longtemps, de lui, de moi, des autres, de ces dialogues là, de ces questions de merde. J'ai pas envie de noyer, pourtant, quelqu'un avec ce flot, tu comprends ?
- Plus tu te tais, plus tu ne pourras jamais parler.
- Je sais, mais je préfère.
- Tu es ridicule.
- Je sais, mais au moins, je ne suis que déçue par moi-même.
- Quel orgueil.
- Oh, ta gueule. Je sais. Tu sais très bien ce que je pense de cela.
- Les autres ne pourraient pas te comprendre ?
- Peut être que si, oui. Mais ce n'est pas le problème. Ils ont les leurs, de douleur. Et je ne fais que ressasser les mêmes choses, dans les cris saccadés que j'écris sur une page. Et les autres choses ? Je n'y arrive pas. Je n'arriverai pas à écrire, parler, ouvertement.
- Tu n'en sais rien !
- Mais je le regrette tellement.
- Les regrets, c'est sale pour la santé.
- Je sais, c'est moi qui l'ai dit cette phrase. Parlons alors de remords, ici, c'est plus cela.
- C'est pas mieux.
- Je tousse tant. Tu sais, c'est con.
- De quoi ?
- Cette folie qu'on a de vouloir être heureux.
- Je sais.
- J'aurais pas beaucoup d'occasions que cela, je pense. Justement par ce que je réfléchis trop.
- Débrouille toi pour moins le faire. Et ouvre un peu les yeux.
- Je sais, je sais ce que tu vas dire. Que le bonheur est partout et qu'il suffit de bien voir. Que je suis une abrutie, incapable de vivre. Je le sais ça, t'es pas la première à le penser. Mais, merde. Je fais quoi ? Je fuis ? Je fuis contre mon esprit et cette envie de comprendre qui sommeille et qui me détruit ? J'arrête de penser?
- De temps en temps, oui.
- Mais je ne peux pas, tu le sais très bien.
- Essaye.
- Même quand je bois, j'ai du mal.
- C'est déjà mieux.
- Oh, quelle belle solution.
- Je n'ai pas dit cela. Trouve l'ivresse de quelque chose.
- Ah oui ? Dans ma scolarité sous pression ? Dans mes amours ridicules ? Dans le plaisir ? Je suis bloquée, au fond, par ce que je dois faire. Et ne dis pas que je peux m'en libérer. C'est faux, faux et archi faux.
- Je sais ...
- Tu me dis qu'il faut attendre, je t'arrache la tête. Bordel, j'en ai ma claque d'attendre. Attends attends attends. Attends le lycée, attends la prépa, attends l'année prochaine, attends d'oublier, attends que la douleur passe, attends des rencontres, attends de vivre quoi. Je peux mourrir demain, tu le sais.
- Et tu penserais quoi de ta vie ?
- Qu'elle vaut la peine, c'est clair.
- Tu vois.
- Je sais. Mais j'ai aimé, j'ai rencontré des gens merveilleux, j'ai été heureuse. Mais je me suis bien trop pris la tête.
- Mais sans cela, est- ce que tu aurais été autant heureuse.
- J'en sais rien, je parie que non, histoire de pas me foutre une balle dans la tronche tout de suite. Tu vois. Il va falloir encore attendre longtemps ? Après la prochaine dissertation ? Après le bac ? Après la prépa ? après le concours ? après le nouveau boulot. SI je m'épanouis pas tant que cela, c'est peut être juste ma faute.
- Ca, j'ai jamais dit le contraire.
- Je sais, mais je veux dire. Je vais pas attendre ma vie, à attendre des rencontres déclics comme diraient ma psy.
- Tu en as déjà eu.
- Je sais.
- Juste, tu n'es pas patiente.
- Mais dans une vie, on a pas le temps d'être patiente ! Ce n'est pas une attente sereine là. C'est une oppression extérieure qui m'empe^che de vivre.
- Extérieure, peut être. Mais intérieure aussi.
- Mais, bordel, JE SAIS. Mais les devoirs, les conneries de trucs idiots, c'est pas moi qui me les met tout de seule !
- Je croyais que tu aimais cela.
- C'est le cas. Sauf que j'aimerais avoir l'esprit libre de temps en temps.
- Et ca veut aller en prépa.
- C'est un pari comme un autre.
- Tu ne survivra jamais.
- C'est un pari comme un autre. Avec un peu de bol, ca pourra très bien marcher. Mais, tu vois, on avance à rien dans tout cela. J'ai pas la motivation devant la montagne de choses à faire qui m'attends.
- Je suis sure quelle est là, pourtant, au fond. Enfin. Et l'autre ?
- Qui ça ?
- Tu sais très bien.
- Ah,