Dans la fortune immense de la mer à venir
J'ai des éclats.
« Les belles choses que nous écrirons si nous avons du talent sont en nous, indistinctes, comme le souvenir d'un air, qui nous charme sans que nous puissions en retrouver le contour, le fredonner, ni même en donner un dessin quantitatif, dire s'il y a des pauses, des suites de notes rapides. Ceux qui sont hantés de ce souvenir confus de vérités qu'ils n'ont jamais connues sont les hommes qui sont doués. Mais s'ils se contentent de dire qu'ils entendent un air délicieux et n'indiquent rien aux autres, ils n'ont pas de talent. Le talent est comme une sorte de mémoire qui leur permettra de finir par rapprocher d'eux cette musique confuse, de l'entendre clairement, de la noter, de la reproduire, de la chanter. Il arrive un âge où le talent faiblit comme la mémoire, où le muscle mental qui approche les souvenirs intérieurs comme les extérieurs n'a plus de force. Quelquefois cet âge dure toute la vie, par manque d'exercice, par trop rapide satisfaction de soi-même. Et personne ne saura jamais, pas même soi-même, l'air qui vous poursuivait de son rythme insaisissable et délicieux. »
Proust, Contre Ste Beuve
(Je vais très bien, aujourd'hui.)
Ailleurs (je crois que c'est dans le début de la Recherche), Proust continue sur ce thème. Il dit que chaque auteur écrit sa musique propre. C'est vrai qu'il y a des livres, on les entend chanter !