Tu penses.
Troublée, peut être, elle s’était dirigée vers la porte. Son pas était saccadé, et elle se frayait un chemin dans l’allée bordée de bancs et de tables. Tu ne t’étais pas rendu compte que, plus lentement, tu la suivais. Tes pas la suivaient machinalement, en glissant presque sur le sol, tu ne pensais pas, tu ne regardais pas son corps s’en aller vers.
C’est alors qu’elle s’est retournée, « J’oublie mes… ». Vous vous étiez fait face, démesurément proches, indécemment proche. Ton corps sursauta de surprise, le sien fit de même. Et son visage si soudain, si doucement pourtant s’était approché de toi, porté par un élan que tu ne parviendras pas à déchiffrer. Son visage si soudain, glissa vers toi, bu le peu de vide qui vous séparait et vint couvrir ta bouche immobile. Sa bouche vint couvrir la tienne, comme un réflexe, comme pour se rattraper d’une chute, comme le sursaut d’une surprise. Sa bouche couvrait la tienne et elle avait fermé les yeux. Le vent qui avait murmuré son geste, le même, oui, je te le jure, vint prendre à lui tes mains. Il appela tes mains, dans la même urgence naturelle. Tu les posas sur les côtes de sa tête, comme pour plier une poignée de cheveux. Elle frissonna légèrement. Tu tremblais un peu, sans même le voir. Et vous vous embrassèrent vraiment, à l’aube même de vos bouches. C’était comme si tu respirais après une longue apnée – un an, cinq ans, dix ans, je ne sais plus. Vous étiez là.
Et tu l’embrassais toi, en faisant basculer un peu sa tête, toujours entre tes mains, sans décoller vos lèvres. Elle t’embrassa toi, en souriant d’un coup. Puis elle caressa ta main droite, avec une tendresse qui t’était inconnu, pour la faire glisser, sur la jetée de la joue, à l’assaut du vide qui entourait son visage. Elle détacha ses lèvres. Sa main effleura ton bras.
Puis, elle s’éloigna, te regardant toujours, avec un regard que tu ne questionneras que plus tard et qui dès lors t’avait paru comme la chose la plus précieuse au monde. Elle s’éloigna, te tourna le dos d’un coup, accéléra le pas, pris ses affaires et parti.
Tu penses : « Que s’est-il passé ? », « Pourquoi y repenser ainsi ? » « Qu’était-ce ? »
Un bel "instant-souvenir" quand même ! ... tu en as beaucoup comme çà, quand ta mémoire consent à lâcher ses trésors interdits ?